Comment accompagner les personnes éloignées du marché du travail vers la formation et l’emploi ?
L’accompagnement est une des clés des politiques visant l’accès à l’emploi et à la formation des personnes qui en sont le plus éloignées.
Que cela signifie-t-il aujourd’hui d’"accompagner" ? A quels usages renvoie ce terme, quelles pratiques professionnelles cela met-il en œuvre ? Quelles sont les conditions d’un accompagnement efficace vers la formation et l’emploi de personnes en recherche d’emploi ?
Définition de l'accompagnement
Tout d’abord, étymologiquement, la notion même de l’accompagnement comprend deux sens : celui de partage mais aussi de cheminement. Ces notions s’inscrivent dans des cadres souvent complexes que sont la relation avec le conseiller, la géographie ou encore le milieu socio-économique. Ensuite, d’autres facteurs indissociables interviennent dans le processus d’accompagnement comme la santé, le logement, la situation familiale ou encore les ressources financières. La grande diversité des facteurs impactant la réussite d’un accompagnement nécessite de fait, une pluralité d’approches dans le suivi du bénéficiaire. L’accompagnement est un parcours où les démarches et les actions se déroulent en phases, plus ou moins longues selon la situation initiale du bénéficiaire. C’est le professionnel de l’accompagnement qui définit avec le bénéficiaire et en fonction de l’objectif à atteindre, une série d’actions qui devront amener à la réussite du projet.
Une étude sur 5 dispositifs
Afin de présenter les éléments constitutifs d’un parcours d’accompagnement, Françoise DIVISIA s’est basée sur une étude qu’elle a conduite avec 3 experts sur 5 dispositifs apportant un accompagnement particulier, pour un public défini :
- CLCA - Congé de Libre Choix d’Activité, pour les femmes revenant sur le marché de l’emploi
- SMA - Le service militaire, pour les jeunes sans qualification ni emploi
- PrefHacces - personnes en situation de handicap mental ou psychologique
- R2S "Réussir sa sortie" pour des jeunes sous main de justice âgés de 18 à 25 ans
- ADEMA - "Accès des Demandeurs d’Emploi Aux Métiers de l’Agriculture"
Quelques grands opérateurs nationaux tels que Pôle emploi, les Missions locales, Cap emploi et les Cités des métiers ont été sollicités pour apporter des éléments complémentaires à l’analyse de ces 5 dispositifs.
Une organisation en réseau pour un solide maillage de l’information
Les bénéficiaires ont des besoins inégaux et variés. L’accompagnement doit donc avoir une forme souple, dans la plasticité du plan d’action, dans l’adaptation des parcours, dans le rythme, dans les modes pédagogiques. Cela ne doit pas empêcher un cadrage explicite et formalisé du projet.
Pour répondre à ces besoins, toutes les structures travaillant sur l’accompagnement des publics doivent être en capacité de connaître l’ensemble des offres de service et de parler un langage commun. Les professionnels sont porteurs de compétences complémentaires et l’organisation en réseau de conseil facilite les accès aux bénéficiaires. Un outil commun avec des espaces de partage est bénéfique, comme la mise en commun de formations, de locaux ou encore d’outils. Il a été observé pour certains bénéficiaires, une difficulté à faire un choix face à plusieurs possibilités d’outils à leur disposition. La co-construction d’outil et la mise en commun des méthodes éviteraient ces situations complexes pour les bénéficiaires.
De manière régulière, des temps collectifs d’analyse des pratiques restent nécessaires pour continuer le travail de mise en réseau et co-construire de manière pérenne. En région Centre-Val de Loire, des dispositions en ce sens ont été mises en place dès 2015 notamment dans le cadre du SPRO.
1- Une orientation rapide et des informations claires
Pour les publics éloignés du marché du travail, il est important d’être orienté rapidement vers la structure qui sera la plus à même de l’accompagner. Une fois le bénéficiaire orienté, l’information globale sur le dispositif auquel il se rattachera doit être claire, facilement accessible et adaptée à sa situation, car les démarches ne sont pas toujours effectuées de manière volontaire, c’est le constat observé dans les dispositifs étudiés. A ce stade, il est important pour la réussite de l’accompagnement de s’assurer que le bénéficiaire a bien compris toutes les actions envisagées et qu’il souhaite adhérer en connaissance de cause. Les informations reçues doivent également être porteuses d’espoir et de solution, donnant ainsi au futur bénéficiaire, une volonté de poursuivre les actions dans le processus qu’on lui propose.
2- Un engagement du bénéficiaire, mais aussi du conseiller
Toutes les expérimentations étudiées mettent en exergue le volontariat du bénéficiaire. Pour l’inciter à poursuivre la démarche de manière volontaire, des entretiens sont menés pour évaluer sa motivation et engager également ce dernier au travers d’un document signé. Pour le bénéficiaire, l’acte d’engagement est un premier pas vers l’autonomie. Il permet également d’avoir un texte auquel se référer sur la durée du parcours. Du côté des professionnels, un engagement d’accompagnement à l’élaboration du projet ou du parcours paraît également être source de motivation chez le bénéficiaire. Cet aspect renforce la relation de confiance entre le conseiller et l’individu accompagné.
3- Un diagnostic approfondi à élaborer
Dans toutes les expérimentations observées, un diagnostic initial est réalisé. Mais il doit être le plus complet possible, c’est un passage essentiel dans l’accompagnement. Dans certains dispositifs, des grilles d’entretiens sont pré-formatées et prennent en compte tous les aspects de la vie de la personne. C’est à cette étape que le conseiller peut mettre à jour les freins éventuels à la réussite de l’accompagnement. En fonction du diagnostic, le conseiller va alors élaborer une stratégie, et phaser autant que possible avec le bénéficiaire, toutes les étapes qui le mèneront à la formation ou à l’emploi. Il est néanmoins important de veiller à préserver le libre arbitre du bénéficiaire dans les choix proposés. Le conseiller reste malgré tout un "recours" en cas de difficultés, le conseiller a alors une fonction d’intermédiation.
Les 3 types d’accompagnements identifiés :
- L’accompagnement professionnel, qui intervient dans le cadre d’un projet d’insertion professionnelle. Il construit la stratégie de développement des compétences.
- L’accompagnement pédagogique, dans les situations d’apprentissage menant à la validation des acquis et qui implique un soutien renforcé. Cet accompagnement est effectué par les organismes de formation et les référents formateurs en entreprise.
- L’accompagnement social, en lien avec les difficultés financières, les problèmes de garde d’enfants, de logement ou encore d’addictions. Ce sont les organismes sociaux qui vont aider à lever les freins.
Dans tous les cas, une relation de confiance entre le conseiller et le bénéficiaire est indispensable pour débloquer la motivation personnelle et la volonté d’assumer son propre devenir. Pour tous les types d’accompagnement, les phases observées restent sensiblement les mêmes.
4 - Un parcours multimodal pour autonomiser
Cette étape est celle de la prise de confiance et de la transmission des clés pour aller vers l’autonomie. Le parcours est différent selon les dispositifs étudiés, mais ce qui est observé c’est surtout la mise en place d’un parcours multimodal. Selon les publics et/ou le vécu de chacun, le ressenti va être différent ; proposer plusieurs approches améliore les chances d’intégration du bénéficiaire au parcours qui lui est proposé. Petit à petit, l’objectif est de lui redonner confiance en ses capacités. Dans le cadre de l’observation du public du CLCA par exemple, les ateliers collectifs sont jugés indispensables. Ces moments de partage et d’échanges leur apportent un soutien essentiel en observant que leur situation n’est pas unique et que des solutions existent. Au-delà de l’alternance entre entretiens individuels et collectifs, plusieurs solutions ont été mises en place dans les dispositifs observés, comme l’organisation d’ateliers de remise en confiance (activités créatives), l’immersion directe en entreprise ou en centre de formation. Dans d’autres dispositifs, et dans la continuité de l’engagement écrit, un livret de suivi ou un dossier individuel a été établi pour que le bénéficiaire puisse clairement identifier ses avancées.
5 - L’acquisition des compétences transversales
L’accompagnement touche un public hétérogène et le conseiller est amené à envisager toutes les solutions pour que le bénéficiaire puisse s’insérer ou se réinsérer dans le monde du travail. Lors du diagnostic initial, un des freins observés est celui de l’acquisition ou non par l’individu de compétences sociales ou citoyennes. Dans le cadre du SMA par exemple, des journées sont dédiées à l’acquisition des règles et codes en société et au travail. De manière plus globale, l’immersion favorise l’acquisition de compétences transversales.
6 - La connaissance du marché du travail et un accès au monde économique
La connaissance du marché du travail local est un réel atout dans la recherche de solutions. Dans un des dispositifs étudiés, des ateliers dédiés étaient organisés. Ils avaient pour objectif de faire connaître les spécificités du marché du travail sur le territoire et ainsi amener le bénéficiaire à une réflexion sur l’orientation à choisir.
Pour ceux n’ayant pas de visibilité sur leur avenir professionnel, des journées in-situ peuvent être proposées. Les objectifs de ces temps de découverte professionnelle ou de mise en situation, sont de développer leur connaissance des métiers et leur apporter des compétences transversales qui permettront une plus grande flexibilité sur le marché du travail.
En amont, le conseiller aura identifié les besoins en compétences des entreprises pour être force de proposition auprès du bénéficiaire. En effet, plus le professionnel accompagnant a de lien avec les entreprises et plus il connaît le territoire, plus il sera à même de pouvoir proposer une orientation avec un potentiel de débouché au bénéficiaire.
Le conseiller ne peut en revanche pas imposer ses orientations et doit respecter les vœux du bénéficiaire. Les processus vers l’autonomisation se veulent itératifs et progressifs, ce qui limite sa portée si le bénéficiaire n’est pas réceptif.
7 - Reconnaissance et validation des acquis
Le parcours du bénéficiaire n’est pas linéaire. La confiance peut parfois être bousculée par des échecs ou des éléments extérieurs impactant directement le bénéficiaire. C’est pourquoi il est important que l’individu puisse se référer à un élément concret qu’il puisse également valoriser. Cet aspect nécessite un partenariat interinstitutionnel fort, incluant les acteurs économiques. Ces relations, pour qu’elles puissent être efficientes, doivent être préalables à l’action. Dans le cadre du SMA par exemple, les militaires ont effectué un lobbying renforcé pour que les bénéficiaires puissent accéder à la reconnaissance et à la validation des acquis. Certaines pratiques européennes font état d’une reconnaissance plus large des compétences que celles acquises au cours de l’accompagnement. C’est le cas par exemple pour le dispositif START 360 en Irlande qui intégrait dans la reconnaissance des acquis, la capacité à s’orienter. De nombreuses expériences comme Open Badge, Rectec, Trace tes acquis ou encore Europass vont également dans ce sens.
8 - Un ou plusieurs référents autour du bénéficiaire
Que ce soit au sein de l’organisme de formation ou de l’entreprise, la mise en place d’un référent dans la structure accueillante permet une meilleure communication des objectifs dans un premier temps et prévenir des difficultés que pourrait rencontrer le bénéficiaire. Il peut donc y avoir plusieurs référents. Le lien entre le référent interne et le référent du parcours global assure une continuité d’accompagnement permettant de lever les derniers freins éventuels et ainsi, éviter les risques d’abandon.
9 - Evaluer pour améliorer et pérenniser les bonnes pratiques
Afin de pouvoir se référer à des résultats concrets et ainsi prendre de la hauteur sur les actions réalisées, il est recommandé de mettre en place une évaluation, dont 3 phases ont été observées dans les dispositifs étudiés. En amont, un focus est réalisé sur la conformité du repérage, de la prise de contact et de la vérification de la motivation, en lien avec les objectifs des financeurs. En aval, on peut mesurer l’efficacité essentiellement par l’accès du bénéficiaire à une formation, un emploi ou l’abandon du processus. Dans ce même temps, on peut évaluer la mise en réseau des acteurs de terrain et les taux d’abandon. La troisième phase est plus qualitative, avec un apport de l’accompagnateur par le biais d’une auto-évaluation, conjointe au retour du bénéficiaire.
Quant à la qualité de l’accompagnement, 2 modalités conjointes peuvent être utilisées, l’auto-évaluation et l’appréciation des usagers. Enfin, il est également possible d’évaluer la capacité des bénéficiaires à s’orienter en fonction des critères européens.
10 - Nouvelles opportunités avec la loi de 2018 sur la liberté de choisir son avenir professionnel
Pour permettre à chacun de développer et adapter ses compétences, la loi du 5 septembre 2018 propose un ensemble de dispositifs dans lesquels doit s’insérer le principe de l’accompagnement. Le plus important est le Conseil en Evolution Professionnelle qui prévoit différentes mesures comme l’accueil individualisé, un conseil sur mesure, un accompagnement dans la mise en œuvre du projet professionnel avec un plan d’actions incluant les étapes de réalisation, les actions à conduire, les prestations à mobiliser et un plan de financement.
Les nouveautés pour les jeunes de 16 à 25 ans sont deux mesures, le Pacea et l’accompagnement intensif. Le Pacea, parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie est un parcours d’insertion sur mesure avec un engagement contractualisé. Quant à l’accompagnement intensif, qu’il soit collectif ou individuel, son objectif est de mener le bénéficiaire à une formation longue.
Article proposé par le Gip Alfa Centre-Val de Loire Conférence réalisée par Françoise DIVISIA, consultant-expert en politiques européennes d'éducation et formation, le 29 septembre 2020 au Centre des Congrès de Vierzon.